Dans le secteur de la finance et des assurances, des écarts de genre persistent malgré les avancées, particulièrement aux niveaux décisionnels (voir article 1 de notre série). Mais quelles sont les raisons profondes de ces inégalités?
Comprendre le "pourquoi" est essentiel pour identifier les leviers de transformation, selon Tania Saba, titulaire de la Chaire BMO en diversité et gouvernance de l’Université de Montréal.
Plongeons dans les causes qui freinent encore l'égalité des sexes dans ce domaine.
Culture organisationnelle et biais implicites
La culture organisationnelle, historiquement masculine, est une cause majeure des inégalités de genre, d’après Simon Painchaud, associé, Recherche et développement et co-créateur de L’effet A. Or, "changer les mentalités prend du temps", comme le rappelle Florian Roulle, vice-président, Finance durable chez Finance Montréal.
Les biais implicites jouent un rôle clé dans l’évaluation de la performance et dans la reproduction des inégalités. Tania Saba, citant un article de Lucy Taksa, préfère éviter le terme « biais inconscients », qui tend à réduire la portée de la responsabilité individuelle et organisationnelle. Parler de « biais implicites » rappelle au contraire que chacun, ainsi que les institutions, a la responsabilité d’identifier et de corriger ces biais, et de mettre en place des pratiques visant à améliorer la représentation des femmes à tous les niveaux de postes.
Louise Champoux-Paillé, experte en gouvernance, observe que les comités de promotion masculins tendent à reproduire un même type de leadership. Ainsi, ceux-ci négligent des compétences essentielles où les femmes excellent, comme la mobilisation d'équipes et l'écoute.
Les préjugés impactent aussi l'accès aux opportunités pour les femmes. Tanya van Biesen, PDG de VersaFi, note qu'on présume souvent que les femmes ont moins d'ambition après avoir eu des enfants ou qu'elles sont moins disponibles. Le concept obsolète du "travailleur idéal", entièrement dévoué, contribue également à ces disparités.
Barrières et perceptions : les freins à la progression féminine
Selon une étude de Tania Saba (2023) pour l'AFFQ, les principales barrières qui freinent la trajectoire professionnelle des femmes en finance incluent un manque de visibilité et de reconnaissance de leur contribution, l’absence de modèles féminins et de mentors, des difficultés à accéder à des réseaux professionnels et à des opportunités de développement, ainsi que des critères de promotion perçus comme défavorables ou opaques.
Ces obstacles sont renforcés par des cultures organisationnelles peu inclusives, parfois marquées par un manque de flexibilité dans l’organisation du travail qui alimente le conflit travail-famille, affectant le bien-être et la perception de succès. “Un obstacle majeur pour les femmes réside dans leur perception et expérience de la flexibilité”, renchérit Sherazad Adib, consultante ÉDI chez Desjardins. “Cela les empêche souvent de se projeter dans des carrières de gestion”.
Certains sous-secteurs, comme les banques d'investissement, peinent à retenir les femmes en raison d'une culture exigeante, d'horaires intenses et d'une perception d'accès inégal aux transactions et aux clients, d'après des sondages de Versafi (2016 et 2024).
De plus, un accès inégal au mentorat et au parrainage freine la carrière des femmes dans ces sous-secteurs. La crainte de perdre des clients durant un congé de maternité est aussi un obstacle, relève Simon Painchaud.
Par ailleurs, Sherazad Adib reprend l’idée des biais et va plus loin : “Nous faisons face à des biais qui influencent notre perception des femmes dans les postes de gestion et de leadership. Ces préjugés affectent également les femmes elles-mêmes, y compris celles issues de minorités visibles. Les rôles de leadership restent souvent associés à des qualités considérées comme masculines, comme la capacité à naviguer dans les dynamiques politiques”.
Louise Champoux-Paillé constate que les femmes attendent d'être "parfaitement prêtes" avant de postuler et n’osent pas négocier leur rémunération, craignant d'être jugées négativement. “Les hommes, eux, n’hésitent pas à se projeter PDG dès le départ.”
"On a un travail de fond à faire pour changer notre imaginaire collectif du pouvoir", résume Louise Champoux-Paillé.
Accès restreint au financement et aux réseaux d'influence
Pour les femmes entrepreneures, l'accès aux fonds de capital-risque est limité. Cela s'explique en partie par des questions biaisées des fonds, axées sur la prévention des pertes pour les femmes et la maximisation du gain pour les hommes, d'après Simon Painchaud.
Géraldine Martin, PDG d’Evol, souligne que les femmes sont perçues comme moins enclines au risque et moins portées à solliciter des financements, préférant une "croissance déterminée" pour mieux concilier vie professionnelle et familiale. L'accès aux réseaux d'influence, majoritairement masculins, reste également un défi majeur pour elles.
La parité face aux nouvelles réalités
Une perception sociale erronée selon laquelle l'égalité est déjà atteinte freine l'engagement, notamment celui des hommes, comme le note Simon Painchaud. Une étude de Léger et L’effet A (2020) a montré que seulement 8 % des hommes estiment avoir plus d’opportunités professionnelles que les femmes, ce qui reflète une déconnexion avec la réalité.
L’idée d’une incompatibilité entre diversité et méritocratie est un “faux dilemme”, avertit Tanya van Biesen. “Ces concepts vont de pair : promouvoir l'égalité des sexes est une composante essentielle de la gestion des talents, cruciale pour le succès de toute entreprise”.
Selon Sherazad Adib, “nous assistons à un essoufflement du mouvement ÉDI (équité, diversité et inclusion) qui coïncide avec d'importantes transformations dans le monde du travail, notamment dues aux avancées technologiques. Ces transformations vont changer nos méthodes de travail et entraîner des évolutions systémiques importantes.” Loin d’être défaitiste, Sherazad Adib y voit une belle occasion à saisir : “Intégrer des enjeux d'équité dans ces transformations pourrait créer davantage d’équité et d’inclusion et de façon plus durable. Par exemple, le rôle des gestionnaires pourrait évoluer vers une valorisation des compétences basées sur la collaboration et l’empathie et moins sur les attributs politiques. L’intégration de la technologie au travail pourrait également favoriser une meilleure flexibilité.”
Malgré le recul en matière d’ÉDI aux États-Unis, le Canada maintient ses valeurs d'égalité, profondément enracinées, selon les experts interrogés. Cependant, les entreprises opérant aux États-Unis sont plus prudentes dans leur communication, comme l’a noté Tanya van Biesen.
Ce tournant pourrait être une opportunité de recentrer le discours sur les bénéfices concrets de l'EDI en termes de performance, d'innovation et d'attractivité de la marque employeur, selon Florian Roulle.
En route vers l'équité
Comprendre ces dynamiques complexes et les freins persistants est la première étape vers une véritable transformation. Identifier les causes des inégalités de genre dans le secteur financier permet de mieux cibler les actions à mener.
Dans le dernier article de cette série, nous explorerons les solutions concrètes et les meilleures pratiques pour accélérer le chemin vers une parité pleine et entière.
Par Aria Conseils