Après avoir exploré les constats et les causes des écarts de genre : quelles solutions peuvent mettre en place les organisations pour resserrer ces écarts? Comment y contribuer en tant que société?
Comme le prouve cet article, les solutions ne manquent pas. Nous les regroupons en quatre pistes :
Selon Simon Painchaud, associé et co-créateur de l’effet A, l’implication de la haute direction, la mobilisation des leaders et la visibilité de la stratégie de parité sont les premières conditions de réussite. "En faisant de la parité une priorité stratégique, les leaders envoient un signal fort à toute l'organisation et créent un élan essentiel au changement".
La mesure comme tremplin
« What gets measured gets done » (Ce qui se mesure s’accomplit), souligne Tanya van Biesen, PDG de VersaFi. "La finance est un secteur où tout se mesure : la gestion des talents ne devrait pas faire exception." Simon Painchaud estime qu'il est crucial de se fixer des objectifs clairs et de suivre des indicateurs de performance clés (taux de promotion, écarts salariaux). “Cela permet de mettre en place des actions concrètes, tel un budget correctif visant l'équité salariale”, complète Florian Roulle, vice-président, Finance durable, Finance Montréal.
Selon une étude de Tania Saba, titulaire de la Chaire BMO en diversité et gouvernance de l’Université de Montréal, pour l’AFFQ (2023), la mesure de la contribution individuelle des femmes, notamment via des systèmes de reconnaissance et une communication transparente de leur impact, est également essentielle pour le succès de carrière des femmes en finance.
L’innovation financière peut aussi contribuer à la parité : Florian Roulle cite les « gender bonds » qui ciblent des entreprises détenues ou dirigées par des femmes, créant ainsi une incitation financière à l’égalité.
Les quotas, un levier de changement?
Louise Champoux-Paillé, experte en gouvernance, en est convaincue : les quotas ont permis à de nombreuses femmes d'accéder à des postes de haut niveau et de devenir des modèles. La preuve en est la parité aujourd’hui observée au sommet des principales sociétés d’État au Québec.
“Les quotas ont obligé les organisations à ouvrir leurs comités de sélection et à chercher des talents qu’elles n’avaient jamais considérés auparavant”, souligne-t-elle.
Pour retenir les talents féminins, il est essentiel de "revisiter les barrières" en s’attaquant à la racine des problèmes, selon Tania Saba.
Contrer les biais systémiques et promouvoir la mixité
L'approche doit être multidimensionnelle, comme le suggère Tanya van Biesen avec sa métaphore de la « plantation de mille fleurs ». Les entreprises doivent se questionner sur la diversité de leurs jurys d'entretien et l'objectivité de leurs processus.
Recherchent-elles le “travailleur idéal” (voir article 2) ou adoptent-elles une vision plus large du talent? L'intelligence artificielle (IA) est-elle configurée pour rechercher la diversité? Tanya van Biesen cite la bonne pratique d'une grande entreprise qui désigne une tierce personne pour identifier les questions biaisées lors des entretiens.
Selon Louise Champoux-Paillé, renforcer la mixité des comités de promotion est une solution concrète qui ouvre les perspectives et valorise des compétences essentielles à l'ère moderne, comme l'écoute et la mobilisation d'équipe, souvent associées aux femmes.
Pour Simon Painchaud, il faut d’abord sensibiliser les individus aux biais implicites. Un travail qui ne se règle pas à court terme, comme le rappelle Sherazad Adib, consultante ÉDI chez Desjardins, soulignant l'importance d'intégrer ces initiatives dans la structure de gouvernance pour assurer leur durabilité.
Créer un environnement de travail favorable et flexible
Les politiques de flexibilité sont un élément clé pour permettre aux femmes de s’épanouir. Selon Sherazad Adib, l'essor du travail hybride et de l’IA offre de nouvelles opportunités pour repenser les organisations.
Les entreprises peuvent offrir des horaires flexibles ou la possibilité de télétravailler pour une meilleure conciliation travail-famille. Chez BNP Paribas au Canada, des mesures comme les congés flottants ou les journées pour responsabilités familiales permettent par exemple de réduire les contraintes liées aux responsabilités personnelles.
Il est aussi crucial de s'assurer que cette flexibilité s'applique aux rôles de leadership, afin de permettre aux femmes de progresser, comme le souligne Sherazad Adib.
Soutenir la parentalité
Le congé de maternité peut susciter des craintes, particulièrement pour les professionnelles en contact avec la clientèle. Pour Simon Painchaud, il est essentiel de « mettre en place des structures claires pour accompagner les femmes avant, pendant et après leur congé », avec l'objectif de maintenir leur engagement et leur évolution de carrière. Cela peut inclure des points de contact réguliers, un suivi des dossiers clients et la sécurisation du retour au travail, voire des promotions.
Pour les entrepreneur.e.s en congé parental, Evol offre un moratoire sur le remboursement du capital. “Une solution concrète qui permet aux entrepreneur.e.s d’avancer sans être découragé.e.s par la charge familiale et entrepreneuriale”, explique Géraldine Martin, PDG d’Evol.
D'autres initiatives peuvent être déployées dans les organisations, comme encourager un partage plus équitable des congés parentaux, offrir des services de conciergerie ou de garde d’enfants, afin d'alléger le quotidien des professionnelles.
Au-delà des changements culturels, il est essentiel de soutenir le développement de carrière des femmes pour réduire l'écart aux postes décisionnels.
Développement des compétences et leadership à impact
L’étude de Tania Saba pour l'AFFQ insiste sur l'importance d'offrir des plans de carrière qui illustrent clairement les chemins vers les postes de leadership. Par ailleurs, l’engagement ESG (Environnemental, Social et de Gouvernance) constitue un puissant levier de rétention, car il permet aux femmes de percevoir que leur travail contribue directement à des objectifs porteurs de sens, tels que la justice sociale, la durabilité environnementale et une gouvernance plus équitable.
Selon Florian Roulle, il existe d’ailleurs un “leadership féminin fort dans l’action climatique”. Citons le groupe Women in Climate Finance, co-fondé par Delia Cristea, associée, cheffe de l’exploitation et cheffe du contentieux, Power Sustainable, et lauréate du prix Inspiration-Andrée-Corriveau de l’AFFQ en 2025.
Faisant écho à ce constat, l'organisme Evol ajuste ses taux d'intérêt en fonction de l’intégration du développement durable dans les projets, récompensant un leadership responsable souvent adopté par les femmes.
Mentorat, parrainage et réseautage : des leviers d’ascension
Les programmes de mentorat et de parrainage sont essentiels pour l'ascension des femmes. Pour être efficace, le mentorat doit être bien conçu, avec des jumelages réfléchis, selon Tanya van Biesen.
Le parrainage (sponsorship) est un levier encore plus puissant : une personne plus senior utilise son influence pour défendre une candidature dans les cercles décisionnels. Louise Champoux-Paillé le confirme : "C’est bien plus efficace quand c’est quelqu’un d’autre qui parle de votre valeur que lorsque c’est vous-même". Les hommes, qui occupent encore la majorité des postes de pouvoir, devraient s’engager davantage dans le parrainage des femmes.
Dans cette optique, la Banque Nationale propose, depuis 2021, un programme de sponsorship qui promeut l’avancement de carrière grâce au soutien actif d’un sponsor.
Le programme Leadership for Women de BNP Paribas, quant à lui, crée des filières internes pour élargir l'accès des femmes aux postes de direction, en proposant notamment un coaching entre pairs, avec le Réseau des Directrices, et le programme NextGen qui connecte les talents juniors à des gestionnaires expérimentés pour accélérer leur progression. Sonja Volpe, la PDG de BNP Paribas au Canada, vient d’ailleurs de recevoir le prix Catalyst, décerné aux leaders fortement investis dans les initiatives d’EDI.
L’accès aux réseaux, encore majoritairement masculins, demeure une barrière pour les femmes en finance. Si les réseaux tels que l’AFFQ ou Versafi offrent un écosystème d’accompagnement, tout en donnant aux femmes accès à de précieuses opportunités, il est également important que celles-ci puissent accéder à tous les cercles d’influence. Florian Roulle estime qu'il est crucial de renforcer les synergies entre les réseaux existants : ceux-ci devraient collaborer pour créer un environnement plus inclusif.
Soutenir l’entrepreneuriat féminin
Soutenir l'entrepreneuriat féminin est également une voie importante pour aider les femmes à réaliser leur plein potentiel.
De nombreuses institutions financières s’engagent pour appuyer les entrepreneures en leur offrant un accès au capital, des formations et du mentorat. Citons le programme Cheffes de file de La Caisse, l’initiative Femmes en mouvement / Parcours entrepreneure de Desjardins ou encore L’Initiative Femmes de la Banque Scotia.
Au-delà du financement, Evol offre un accompagnement personnalisé aux entrepreneur.e.s, les aidant notamment à développer des compétences clés - comme en développement durable, en finance -, grâce à son équipe et à 70 bénévoles dévoués.
Dans le secteur des technologies financières, l'initiative « Elle FinTech » de Finance Montréal propose notamment des ateliers aux femmes pour mieux naviguer dans l'écosystème du capital-risque. « C’est ce genre d’initiatives concrètes qu’il faut mettre en place et qui restent encore trop marginales”, soutient Florian Roulle.
Les solutions ne se limitent pas aux actions internes des entreprises : l’égalité se joue aussi à l’échelle de la société.
Construire la relève féminine
Selon Florian Roulle, il est essentiel de construire un "pipeline" de talents féminins dès le plus jeune âge en encourageant l'intérêt pour les sciences, la technologie, l'informatique et les mathématiques (STIM). Certaines organisations, dont Finance Montréal, s’engagent activement auprès de la relève dans les collèges et universités, afin de démystifier les métiers de la finance.
Rendre visibles les modèles féminins
"On a, au Québec, plusieurs femmes remarquables à la tête de grandes organisations. Il faut les rendre visibles, leur donner une voix, et mettre en lumière leur style de leadership. Elles incarnent un nouveau visage du pouvoir”, avance Louise Champoux-Paillé.
Pour Simon Painchaud, cette représentation est essentielle pour inspirer les générations futures et montrer qu'il est possible d'évoluer dans ces milieux.
Selon Florian Roulle, les réseaux professionnels existants doivent être mis à contribution pour amplifier ces messages sur le leadership féminin, tout en les adaptant aux réalités de chaque sous-secteur de la finance.
Les hommes, alliés essentiels
« La conversation sur la parité n’est pas juste une affaire de femmes », rappelle Sherazad Adib. Alliés essentiels, les hommes ont un rôle à jouer dans la promotion des femmes. “Il faut faire équipe” plaide Louise Champoux-Paillé.
Chez BNP Paribas au Canada, par exemple, l’implication d’un dirigeant au plus haut niveau en tant que sponsor d’un groupe interne dédié à la parité envoie un signal fort à ses pairs et renforce l’impact des actions menées.
L’action individuelle, un levier de progression
Sherazad Adib souligne l'importance de prendre des initiatives personnelles pour surmonter les obstacles et ouvrir des portes, pour soi et pour les autres.
Pour Louise Champoux-Paillé, il est crucial de développer des stratégies de visibilité en choisissant des missions stimulantes (« stretch assignments »), qui permettent d’être repérées pour les promotions.
Dans cette optique, l’initiative « Ose sortir de ta zone de confort » de la Banque Nationale propose des défis trimestriels pour encourager les femmes à saisir de nouvelles opportunités.
Toutes et tous pour la parité
En conclusion, la parité dans le secteur financier connaît des progrès notables mais aussi des défis structurels profonds. Pour que les solutions fonctionnent pleinement, il est essentiel de les aborder de manière holistique.
C'est en combinant l'engagement des leaders, l'action collective et l'initiative individuelle que nous pourrons accélérer la progression vers une finance plus paritaire, inclusive et performante.
Par Aria Conseils